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Démocratie, suite et fin ? Ou La démocratie à bas régime







8 Octobre 2019


Démocratie, suite et fin ? Ou La démocratie à bas régime
Que la démocratie doive affronter des relents nationalistes et des appétences totalitaires n’est pas nouveau. Il se joue là une forme de dialectique structurale du vieux monde. C’est d’ailleurs dans cet antagonisme historique que celle-ci a toujours su se revigorer.
 
La démocratie moderne n’en est pas moins une utopie fragile : elle n’est que très anecdotiquement le pouvoir du peuple par lui-même, et bien davantage – c’est déjà beaucoup – un modèle politique où le pouvoir se doit d’agir au service de la nation et de concitoyens égaux en droits. Voilà pourquoi la relation entre le peuple et ses élites est un baromètre sensible – et sa lecture inquiétante par les temps qui courent.
 
Ce qui est autrement inédit et marquant, c’est à quel point nos vieilles démocraties sont sapées dans leurs fondamentaux, comme rongées de l’intérieur : leur socle, la nation, se fissure ; leur idéal, le progrès, ne chante plus demain ; leur moteur, la liberté, se grippe… Cette concordance des crises n’est pas anodine.

Des nations sans cohésion

Si l’État-nation demeure le maître étalon stable de nos repères géopolitiques et institutionnels, force est de constater, au moins du point de vue de l’Occident – berceau de la démocratie –, que les nations n’ont jamais autant été disloquées et tiraillées. Les causes sont multiples…
 
La montée (et la reconnaissance) de communautarismes de toutes formes, réclamant du droit sur-mesure, a fait son œuvre. C’est toujours par ses lâchetés que pèche la démocratie : jadis contre la montée des fascismes, aujourd’hui contre la dictature des « bons sentiments », allié objectif de mauvaises intentions.
 
On ne peut davantage ignorer l’exacerbation des fractures sociales, culturelles et territoriales, aggravées par la transformation brutale du monde. Le phénomène « gilet jaune » en France en est la flagrante illustration. Tout comme le déracinement d’élites économiques mondialisées, qui « habitent » moins un pays et son Histoire que des métropoles planétaires sans mémoire.
 
Dans ce contexte, il n’est pas seulement difficile de faire citoyenneté commune : le ressentiment gagne de toutes parts – pour tout et pour rien – et l’on peut craindre que le cercle des ingouvernables* ne cesse de s’agrandir.

Le progrès cherche la sortie

La démocratie moderne est née avec l’idée de progrès, et elle s’est épanouie derrière ce cap : l’aspiration à un monde sans cesse meilleur, où sciences et techniques servent l’épanouissement humain. Les systèmes de pouvoir antérieurs, enracinés dans de l’absolutisme religieux, pouvaient s’en remettre à la permanence du monde, sans avoir à justifier de sa marche.
 
On connaît la suite (et le revers de la médaille)… Entre guerres mondiales et crise écologique planétaire, le progrès a pris du plomb dans l’aile. Quand bien même on ne renie pas les avancées qui nous font vivre mieux et plus longtemps… Le progrès est devenu une fuite en avant abstraite et déshumanisante. L’Eden se retire, comme l’écrit joliment Pascal Quignard. Certains réclament de stopper les machines, toutes affaires cessantes. Une forme d’hystérie gagne du terrain… La fin du monde est à nouveau à l’ordre du jour. Pas facile de vendre la démocratie, comme idéal de société heureuse, dans ces conditions…

A l’ombre de la liberté

La publicité se charge, elle, de nous vendre encore du bonheur, et tout particulièrement de la liberté, en veux-tu en voilà… Le mot a la cote. Médiatique révélateur en réalité d’une société de plus en plus normée, infantilisée et sous contrôle.
 
Car force est de constater que nous faisons face à des États de droit de plus en plus intrusifs dans nos vies privées. Et pour de grandes firmes de service qui aspirent à régenter nos désirs et nos émotions, l’individu n’est plus qu’une masse de données sous monitoring.
 
La démocratie en arriverait-elle à favoriser une forme de contrôle totalitaire sur la société et les individus ; alors même que l’idéal de liberté résume le mieux la nature de son opposition ontologique au totalitarisme.
 
Comment faire face à ces corrosions multiples ? Comment perpétuer la nation, et en faire le terreau d’une unité historique ? Comment penser la marche du monde pour que celle-ci ne soit ni un reniement du passé ni un appauvrissement de l’avenir ? Comment préserver nos libertés fondamentales, constitutives de notre identité humaine, dans un monde ultra-technologique où surveiller pour protéger ressemble à s’y méprendre à surveiller et punir ? Ces questions civilisationnelles sont de grandes questions politiques. Notre drame, et notre chance, est que l’on ne peut pas figer le monde. Peut-être la démocratie est-elle à réinventer. Mais souvenons-nous qu’entre la démocratie athénienne et celle qui est née des Lumières, dont nous sommes les héritiers directs, l’Histoire fut mouvementée, longue et chaotique.
 
Vincent Lamkin
Associé-fondateur de l’agence Comfluence
Co-Président d’Opinion Valley
 
*Ce terme est emprunté au dernier essai d’Éric Delbecque « Les ingouvernables » aux éditions Grasset